Nous vivons une période très difficile. Oui, c’est l’euphémisme de l’année.
Plusieurs sont frustrés d’avoir à adhérer à des mesures de santé publique telles que de se laver les mains, d’éviter les espaces intérieurs en plus des rassemblements sociaux, de porter un masque et de se distancer physiquement.
- « Pourquoi toute la société est-elle forcée de respecter des mesures de santé publique comme porter un masque, se distancer physiquement et limiter les contacts sociaux? »
- « Ne serait-il pas préférable pour tous les individus à faible risque d’être infectés pour atteindre l’immunité collective? »
- « Les personnes à risque élevé, ou celles qui sont concernées devraient rester chez elles, mais nous devrions laisser tous les autres reprendre leur vie normale pour que l’économie continue de tourner. »
- « Les faits, pas la peur. »
Voici quelques-uns des nombreux propos que j’ai lus sur les médias sociaux et ai entendus dans mes propres cercles sociaux. Il n’est pas facile de vivre nos vies de cette manière. C’est arrivé si soudainement. Nous voulons retrouver nos vies.
Cependant, les faits connus sur ce virus sont ce qu’ils sont. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons et nous n’avons toujours pas découvert de moyen de la changer fondamentalement. En effet, le virus est aux commandes. Et comme tout virus, il ne se soucie guère de nous. Il a son propre ordre du jour : nous infecter tous. Et c’est ce qu’il fera si nous lui en donnons l’occasion.
Du jamais vu en carrière
Alors, si nous sommes à faible risque, ne devrions-nous pas nous laisser infecter et « en finir avec ça »? Cela pourrait potentiellement conduire à l’immunité collective, une situation où le virus ne peut se propager aussi facilement puisque les niveaux d’immunité de la population sont suffisants.
Je dois avouer que c’est ce que je croyais lorsque le virus est apparu. Initialement, les données sur le taux de mortalité ne semblaient que légèrement supérieures à celles de la grippe. Il y a quelques mois, les problèmes de santé à long terme liés à l’infection n’étaient pas connus.
Par la suite, j’ai commencé à traiter des cas à l’urgence où je travaille et à mieux comprendre les problèmes multi-organes auxquels les individus qui deviennent gravement malades sont confrontés. Mes collègues ont aussi commencé à voir des cas et nous en avons discuté. J’ai observé de près ce qui se passait dans des endroits tels que la ville de New York, le nord de l’Italie et le sud des États-Unis.
J’ai rapidement changé d’avis. En 24 ans de carrière, il est devenu très évident que ce virus est complètement différent de tout ce que nous avions vu auparavant. J’ai discuté avec mes collègues experts en maladies infectieuses (infectiologues) qui connaissent ce sujet complexe beaucoup plus que moi et ils sont du même avis.
Alors que nous comprenons de plus en plus ce virus et ses effets, je préférerais ne pas le contracter. Je préfère continuer à faire de mon mieux pour l’éviter.
Voici cinq raisons de l’éviter :
- Il y a un risque important d’être hospitalisé
Si vous examinez les données au Canada, il y a un risque important de devenir malade au point de devoir être hospitalisé. En général, il s’agit de problèmes respiratoires pour lesquels vous aurez besoin d’un supplément d’oxygène pour maintenir un niveau adéquat d’oxygène. Cependant, cela peut parfois signifier qu’un masque à oxygène ne suffit pas et que vous devrez être mis sous respirateur artificiel et être admis aux soins intensifs.
Si nous prenons connaissance des données canadiennes, nous verrons que depuis le 24 septembre, il y a eu 20 519 cas de COVID-19 pour le groupe d’âge des 50 à 59 ans. De ceux-ci, 1 648 individus ont été hospitalisés et 505 ont été admis aux soins intensifs.
Alors, si je suis infecté et deviens suffisamment malade pour recevoir un test positif, à 53 ans, j’ai 8 % de chances d’être hospitalisé et 2,5 % d’être admis aux soins intensifs. En réalité, je suis heureusement en bonne santé et n’ai pas de problème de santé important. Mon risque réel est donc inférieur à ces chiffres. Les individus présentant un risque plus élevé sont plus susceptibles d’en subir les effets indésirables.
Il y a également beaucoup plus de cas réels de COVID-19 dans mon groupe d’âge que 20 519. Comme plusieurs n’ont eu que peu ou pas de symptômes, ils n’ont pas été dépistés et, par le fait même, n’ont pas été recensés. Je me sens un peu mieux quant aux probabilités, mais je suis quand même inquiet.
Je sais que je ne prendrais pas un médicament pour un problème médical mineur si j’apprenais qu’environ une personne sur 20 le prenant se retrouvait à l’hôpital ou qu’une sur 75 était admise aux soins intensifs. Si vous croyez que ces chiffres sont trop élevés, que pensez-vous d’une chance sur 40 de vous retrouver à l’hôpital? Je préférerais ne pas courir le risque.
Si vous êtes plus jeunes, les risques sont évidemment beaucoup plus faibles. Si vous avez 32 ans, selon les cas actuellement connus au Canada, vous avez 2,7 % de chances d’être hospitalisé et 0,6 % d’être admis aux soins intensifs. Encore une fois, le risque réel est inférieur à cela puisque nous ne recensons pas tous les cas. Le danger d’un effet indésirable immédiat est très faible pour les moins de 40 ans, mais il y a d’autres points à considérer tels que vous le verrez plus loin.
- Il y a un risque de problèmes de santé à long terme
Les chances de développer des problèmes de santé à long terme si je suis infecté me préoccupent. De nombreux patients que je voyais et qui étaient auparavant en bonne santé (dont certains d’entre eux n’étaient pas gravement atteints par le virus ou ont dû être hospitalisés) ont constaté que certains symptômes persistent des semaines voire des mois, même après avoir semblé se rétablir (accessible en anglais seulement).
Le virus semble provoquer une inflammation généralisée des organes du corps. En ce moment, la question est de savoir dans quelle mesure cela est important sur le plan clinique. Nous n’avons aucune donnée précise à ce sujet jusqu’à présent. N’oubliez pas que la pandémie n’a débuté qu’il y a huit mois et que nous sommes toujours en mode d’apprentissage.
Nous disposons de quelques données préliminaires sur l’hospitalisation de patients en Italie. Dans une étude effectuée auprès de 143 patients hospitalisés (dont sept sous respirateur artificiel aux soins intensifs), seulement 13 % d’entre eux ne présentaient plus aucun symptôme 60 jours après le début de la maladie1. Des symptômes persistants fréquents chez ces patients étaient la fatigue, l’essoufflement et les douleurs articulaires et thoraciques.
Dans une autre étude effectuée auprès de 292 patients en consultation externe, seulement 65 % d’entre eux disaient être retourné à leur état de santé initial de deux à trois semaines après leur diagnostic2.
Les études portant sur les fonctions cardiaques et pulmonaires après la COVID-19 sont préoccupantes. Certaines études ont montré qu’il pourrait y avoir des déficiences cardiaques et respiratoires après la COVID-19, même pour les patients n’ayant pas nécessité d’hospitalisation3-6. Toutefois, ces données sont récentes, ce qui signifie que nous ne comprenons pas encore toute leur importance clinique. Cela pourrait se révéler être peu inquiétant et espérons-le.
Il existe divers effets potentiels à plus long terme qu’il est parfois possible d’examiner avec d’autres virus. Ces effets incluent l’augmentation du risque de développer certains cancers tel qu’un lymphome, et ce, plusieurs années après l’infection. Je ne mentionne pas cela pour provoquer inutilement de la peur et de l’anxiété, car il est tout à fait possible et plus que probable que ce ne soit pas du tout le cas.
Mais je tiens à souligner que nous devrions faire preuve d’humilité face à la situation dans laquelle nous nous trouvons. En médecine, nous ne savons parfois certaines choses qu’après les avoir soigneusement étudiées sur une longue période. Nous ne devrions pas encourager les gens à contracter le virus avant d’avoir un portrait clair des risques qu’il comporte. Nous ne devrions pas déclarer avec une certitude absolue que l’infection ne comporte que peu ou aucun risque important à long terme.
Je me méfie toujours des individus qui sont trop sûrs d’eux-mêmes et discutent de questions médicales complexes comme si la voie à suivre était toute tracée. C’est rarement le cas. Avec les informations que nous avons pour l’instant, je préfère ne pas tenter ma chance et éviter les problèmes de santé à long terme.
- Je ne veux pas infecter les autres
L’une de mes plus grandes préoccupations est de contracter le virus et d’infecter un membre de ma famille sans le savoir; et qu’à son tour, celui-ci le transmette à d’autres, surtout à des individus à plus haut risque. C’est ce à quoi les personnes de moins de 50 ans qui n’ont pas de facteurs de risque devraient penser.
Nous savons que jusqu’à 40 % des gens peuvent être asymptomatiques et ainsi potentiellement contaminer les autres. Il est important de comprendre à quel point ce virus est infectieux et il existe de bonnes recherches et des expériences de première main qui démontrent que même si les infections sont limitées aux individus à faible risque, elles finiront par se propager aux plus vulnérables avec le temps.
Imaginez que nous levions toutes les restrictions de santé publique pour les individus à faible risque et qu’ils reprennent leur « vie normale ». Le nombre de cas monterait en flèche dans cette population; tellement que la majorité des experts croient que nous serions finalement aux prises avec une crise de santé publique majeure. Dans une société complexe avec autant d’interactions, il est presque impossible de contenir l’infection aux individus à faible risque tout en assurant la sécurité de ceux à haut risque. Cela ne fonctionne tout simplement pas. Il y a tellement de gens qui interagissent avec les personnes à risque qu’il serait irréaliste de séparer tout le monde dans une société comme la nôtre.
Cette publication d’un épidémiologiste sur Twitter (accessible en anglais seulement) explique en détail pourquoi il est problématique d’atteindre l’immunité collective de cette manière dans le monde réel. Plusieurs individus plaident actuellement en faveur de cette stratégie, mais je n’ai pas encore vu de plan soigneusement élaboré qui explique comment cela pourrait être accompli. Logiquement, le concept a du sens; ce sont les détails concrets de sa mise en œuvre qui n’en ont pas.
À l’heure actuelle, nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire de mieux et ne pas expérimenter à un moment aussi crucial de la pandémie.
- Je ne veux pas risquer d’être malade à la maison pendant plusieurs semaines
L’un des autres facteurs est la possibilité d’être malade pendant plusieurs semaines, voire plus.
L’OMS indique que le temps de récupération est généralement d’environ deux semaines en cas d’infections bénignes. Cependant, cela est variable et dépend de multiples facteurs tels que l’âge et les comorbidités préexistantes.
Être malade pendant plusieurs semaines aurait un coût important sur la plupart de nos vies, particulièrement pour ceux d’entre nous qui ont des enfants ou d’autres responsabilités continues comme de travailler ou de prendre soin d’être chers faisant partie de notre bulle.
- Il y a une très faible chance de mourir
Si j’observe les données canadiennes, il y a eu 221 décès pour le groupe d’âge des 50 à 59 ans sur 20 519 cas. Ces chiffres signifient un risque de décès de 1,1 %.
En réalité, tel que mentionné précédemment, mon risque réel individuel serait beaucoup plus faible. Toutefois, selon ces données, un risque de décès de 0,1 à 1 % n’est pas quelque chose à mettre de côté comme étant non pertinent. Je ne prendrais certainement pas l’avion si je savais qu’un sur 100 s’écrasait ou même un sur 200, voire un sur 500.
Je le ferais si je le devais absolument, mais je préférerais attendre que les avions deviennent plus sécuritaires avant d’en prendre un autre.
Nous avons besoin d’une solution plus robuste contre la COVID-19, une solution qui réduit nos risques à des niveaux plus acceptables. Un vaccin semble être une solution qui sera utile afin de réduire les risques globaux, mais nous devons attendre patiemment d’avoir les données qui démontrent que c’est effectivement le cas. Les médicaments viendront, espérons-le, avec le temps.
Nous n’avons actuellement aucune thérapie qui change la donne quant au traitement de l’infection. Je n’ai aucun doute que nous aurons éventuellement des traitements efficaces, mais nous devons prendre conscience que la science prend du temps.
Une discussion honnête et transparente
Je trouve difficile de parler de ce sujet, car je ne veux pas que les gens craignent d’être exposés à la COVID-19.
Si j’étais infecté, je ne serais pas trop inquiet. Il est important de souligner que la majorité des gens atteints ont un cas bénin sans problème à long terme. J’ai vu de nombreux patients plus âgés avec plusieurs facteurs de risque s’en sortir sans anicroche.
Cependant, en même temps, nous devons être conscients des faits, même s’ils sont quelque peu inconfortables ou dérangeants. Les faits doivent être présentés sans avoir pour objectifs cachés de promouvoir ses opinions. Minimiser les risques ou tirer des conclusions définitives, et ce, avant même d’avoir les données réelles et les connaissances scientifiques, n’est pas le moyen d’éliminer la panique et la peur.
Avoir une discussion réfléchie, honnête et transparente sur ce que nous connaissons et ne connaissons pas, en plus d’avoir un plan clair et réalisable pour aborder la situation afin d’en minimiser les risques jusqu’à ce que nous en sachions plus, est la meilleure façon de gérer la panique et la peur. Nous devons être ouverts aux changements et à la modification de notre ligne de conduite lorsque nous obtenons de nouvelles informations.
Selon la vaste majorité des infectiologues et des épidémiologistes, permettre une infection généralisée chez les personnes à faible risque entraînera une crise de santé publique. Le système de soins de santé sera débordé et des individus mourront inutilement. Beaucoup d’entre eux auront des problèmes médicaux à vie. Même si nous aimerions le croire, le virus ne peut être contenu de manière adéquate.
C’est très malheureux, mais c’est là où nous en sommes actuellement.
Ici pour rester
Beaucoup peuvent se demander : « alors, où allons-nous avec cela? »; « Quel est le plan de match; nous évitons l’infection pendant toute notre vie? »; « Ne reportons-nous pas tout simplement l’inévitable? »
Ce sont des points importants et les bonnes questions à poser. Notre approche actuelle comporte des risques considérables pour la santé mentale et le fonctionnement général de notre société qu’il ne faut pas minimiser. Ce virus est en effet ici pour rester. Il finira par infecter la plupart d’entre nous.
Mais pour l’instant, nous n’en sommes tout simplement pas encore au point de laisser le virus se propager dans la population. Nous devons attendre de disposer de meilleures solutions. Nous ne devrions pas monter dans cet avion maintenant si nous pouvons l’éviter.
La meilleure solution est d’essayer de continuer à vivre en respectant certaines restrictions, et ce, afin de minimiser les risques. Beaucoup appellent cela un confinement, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit plutôt d’en prévenir un autre.
Il y a confinement lorsqu’il y a ordre de rester à la maison et que nous ne pouvons la quitter comme en mars dernier. Les interactions sociales sont limitées au strict minimum en fonction des besoins, ce qui n’est actuellement pas le cas.
Tirer le meilleur parti d’une situation difficile
Nous en avons beaucoup appris sur ce virus et sur son mode de transmission. Nous pouvons en minimiser la propagation en vivant notre vie dans le respect de certaines contraintes. Heureusement, ces restrictions ne nous obligent pas à fermer nos écoles, à confiner la plupart d’entre nous dans nos maisons et à éliminer toute forme d’interaction sociale.
Je considère les restrictions en matière de santé publique comme un moyen de nous maintenir en activité du mieux que nous le pouvons. Elles sont notre effort de tirer le meilleur parti d’une situation difficile, mais nous devons réaliser qu’elles feront encore souffrir beaucoup d’individus.
Il faut cependant reconnaître que c’est à ce moment de l’histoire que nous devons, en tant que société, mieux nous soutenir les uns les autres et faire ce que nous pouvons pour aider ceux qui sont dans le besoin en cette période difficile. Il s’agit d’une situation sans précédent; mais je sais que nous allons tous nous en sortir et que de meilleurs jours nous attendent.
Sources :
(accessibles en anglais seulement)
- Carfì A, Bernabei R, Landi F and Gemelli Against COVID-19 Post-Acute Care Study Group, Persistent Symptoms in Patients After Acute COVID-19, JAMA, 2020.
- Tenforde MW, Kim SS, Lindsell CJ, et al., Symptom Duration and Risk Factors for Delayed Return to Usual Health Among Outpatients with COVID-19 in a Multistate Health Care Systems Network — United States, March–June 2020, MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020.
- Huang Y, Tan C, Wu J, et al., Impact of coronavirus disease 2019 on pulmonary function in early convalescence phase, Respir Res, 2020; 21:163.
- You J, Zhang L, Ni-Jia-Ti MY, et al., Anormal pulmonary function and residual CT abnormalities in rehabilitating COVID-19 patients after discharge, J Infect, 2020; 81:e150.
- Mo X, Jian W, Su Z, et al., Abnormal pulmonary function in COVID-19 patients at time of hospital discharge, Eur Respir J, 2020; 55.
- Puntmann VO, Carerj ML, Wieters I, et al., Outcomes of Cardiovascular Magnetic Resonance Imaging in Patients Recently Recovered From Coronavirus Disease 2019 (COVID-19), JAMA Cardiol., 2020.
Au sujet de l’auteur
Le Dr Michael Szabo est médecin en chef chez Novus Santé et cumule 25 années d’expérience en soins médicaux de première ligne. Il est urgentologue pour le Réseau universitaire de santé de Toronto (UHN) et chargé de cours au Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. Il possède une vaste expérience en soins de santé destinés aux cadres, en soins de santé de type concierge et en deuxième opinion médicale.
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